…et à Françoise Mézières !
Depuis combien d’années vois-je Francis ? (j’ai du mal à m’exprimer en bon Français : puis-je écrire : « fréquentè-je Francis »). Voyons serait-ce lors de notre premier séjour à Toulouse ? (1988-93). Vingt deux ans ? Le trou de mémoire total. Exactement comme dans le film de Sylvie Testud avec Juliette Binoche tiré du livre de Frédérique Deghelt : « la vie d’une autre ». Je vous le conseille, j'ai l'impression d'avoir vécu la même amnésie de ma vie professionnelle (heureusement j'ai conservé des tas de notes !). Lors de notre second séjour (2003-2007) ? Ce doit être cela. Il y aurait 9 ans ! Il faut absolument que je lui demande de consulter ses fiches, lui qui est ordonné. Une séance tous les quinze jours (car Francis est kinésithérapeute) m’avait été recommandée par la Faculté , auprès d’un praticien de la méthode Mézières : Francis.F. Il est d'origine espagnole, vit comme un écologue, et est très rigoureux dans sa pratique médicale.
Francis m’a montré le livre (le seul) écrit par Françoise, inventeur de sa propre méthode. Le titre : "Originalité de la méthode Mézières" chez Maloine éditeur à Paris (j'ai cherché sur Abebooks sans succès) est dédicacé des années 1980, à l’époque où Françoise pratiquait dans le Gers, et formait des émules volontaires lors de stages « sur le tapis » pourrait-on dire. Difficile d’accéder à son enseignement, le fameux livre étant épuisé, le document le plus fourni sur le sujet étant le bouquin « la méthode Mézières » un concept révolutionnaire, de Michaël Nisand et Sylvie Geismar, aux Editions J.Lyon publié seulement en 2008.
L’astuce si l’on peut dire, mais le concept est révolutionnaire, est la suivante : les kiné classiques trouvaient (qu’en est-il aujourd’hui ?) que nos muscles étaient toujours insuffisamment musclés si je puis dire : nous étions victimes de la station debout, et d’une évolution inachevée qui ne nous avait pas donné tous les organes (os et muscles) pour tenir debout sans risques de déformations, donc de douleurs. Il fallait muscler tout cela, pour lutter contre la gravité, la pesanteur, qui nous faisait nous courber. D'où l'expression : « le poids des ans ».
Françoise Mézières qui n’était malheureusement pas médecin, et a donc du lutter contre l’establishement toute sa vie, découvre le contraire : en quelque sorte, nos muscles sont contractés en permanence, et tirent excessivement sur le squelette. Je simplifie à l’extrême d’autant que je n’ai pas tout compris sans doute, mais nos muscles s’intègrent dans quatre chaines (musculaires) qui réagissent d’un bloc : la chaine cervicale (le dysfonctionnement étant entre autres le torticolis). Brachiale (de la pointe de l’épaule aux doigts, qui se recourbent peu à peu en une contraction qui nous fait serrer le poing). Plus pernicieuse, la chaine du bassin nous tire sur le bas de la colonne, créant la cambrure caractéristique d'une lordose au bas du dos. Et pour la fin : la grande chaine dorsale, comme une grande corde, qui part du tendon d’Achille pour finir aux cervicales. Seules les chats savent la détendre. Pour nous humains, c'est tout un apprentissage. J'ai appris.
Le Créateur n’a rien conçu pour tirer tout cela dans le sens opposé à la gravité, vers le haut par exemple, et pour détendre tous ces muscles : il faudrait se pendre par le haut de la tête, soin vivement déconseillé, même si quelques uns attrapent les patients sous les machoires et les soulèvent ainsi. L’astuce du praticien va donc être de faire se contracter encore plus les chaines (paradoxal en effet !) pour qu’après l’effort vienne le réconfort, et que fatigués de se raccourcir encore, les muscles se détendent (et s’allongent). Je me suis mesuré souvent rentrant en séance à 170cm, et ressortant une heure après à 172cm !
Nous sommes encore une fois mercredi 29 février, jour exceptionnel, propice aux grèves inopinées des trains TER, des taxis de remplacement hors de prix ; aux rendez-vous ratés, aux factures imprévues, et aux évènements attendus (se faire arracher une dent de sagesse...) ; et inattendus...et voilà-t-il pas qu’en fin de séance (je suis évidemment affaibli par l’effort), Francis m’assène qu’après la prochaine fois, il n’y a plus de prochaine fois car il part définitivement. Je me dis qu'il prend des vacances? Je comprends avec difficulté qu’il a 62 ans, il paraît tout jeune et en forme physique, et prend sa retraite. J’ai appris par mes nombreuses séances de management que la cérémonie de départ est importante pour le partant, car elle constitue un rite de passage visant à marquer le succès de toute une vie professionnelle, et l’estime ici des patients réconfortés si ce n’est guéris, estime qui doit toucher un nombre impressionnant de Toulousains, Toulousaines, sans compter les populations limitrophes.
J’ai peur que Francis, trop discret pour faire la une des magazines, parte sans pot de départ. Je lui dois donc ce trop modeste hommage, pour qu’il sache quand-même par écrit que des patients lui doivent de tenir debout, (situation basique mais précieuse, dans l’état pourtant intermédiaire où l’évolution nous cantonne) et lui seront, comme moi, éternellement reconnaissants.
Post scriptum : La méthode Mézières se nomme maintenant Reconstruction Posturale. Elle fait l’objet d’un enseignement officiel à l’Université de Strasbourg. Et d’un site internet où l’on trouve les kiné suivant chaque année les séances de recyclage obligatoires (du coup ils sont malheureusement peu nombreux).
http://www.reconstruction-posturale.com
Françoise Mézières, "le Corps a ses raisons" de Thérèse Bertherat, le Seuil |