Ceci est mon blog d'origine, à consulter avec ses pendants : "Mes amis papillons" et la "Gazette des arts"

samedi 8 janvier 2011

Baby (histoire d'auto-stoppeuse...)

"Pourquoi, Babo, avoir construit Baby ?"

Nouvelle d’auto

C'est la question que me pose Thomas, qui a eu 15 ans le 7 janvier. Thomas a quinze ans et progresse vers la vie d'adulte. Comme moi je régresse dans le sens contraire, on s'entend très bien entre ado du même âge. Et on a des entretiens hallucinants, comme celui d'hier :

-"Babo peux-tu me coller une protection de cuir sur ma bague, elle me provoque une allergie !"
-"Vaut peut-être mieux être allergique à ta bague qu'aux préservatifs ?"

et la maman de Thomas qui était par là, et suit la conversation s'y met avec son professionnalisme d'esthéticienne :

-"je m'en fiche, j'ai une crème spéciale anti-allergie si on en arrivait  là !"

C’est à Arles que j’ai du prendre ce pli avec Antoine Aubert l’un des cinq Ingénieurs des travaux ruraux faisant la gloire du service, que tout le monde appelait Tony. En Provence, un vrai conteur débute par un préambule, histoire de poser le décor. ll met en scène. Il calme ainsi l’auditoire, le fait peu à peu taire (pensez un auditoire provençal chacun raconte des histoires à son voisin). Préambule posé, l’auditoire est capté. Et l’histoire se déroule, et c’est toujours une petite fresque. Et puis il faut conclure, et le génie du conteur est de trouver une bonne chute. Un ange doit passer juste après, et l’auditoire ayant tout assimilé doit se lever pour une Olla. Et c’est la gloire d’Aubert dont le succès sur scène était garanti.

J’ai pris cette habitude, de ne plus aller en ligne droite, mais de faire le tour. Mes histoires sont des cercles, je fais le tour pour revenir juste au début. Pire, il m’arrive de raconter en 3D comme dans le film Avatar, à cause des diversions qui sont mon grand défaut. Je suis en plein dedans tout de suite. L’histoire devient une sphère, et si elle remplit une vie (la mienne) elle devient un monde.

J’ai vécu une histoire professionnelle intensément riche, et je trouverais dommage que mes petits-enfants n’en profitent pas. Fadela Amara vient d’être promue Inspecteur général de l’assistance sociale quelque chose comme ça par Sarkozy. J’étais Inspecteur Général de l’Agriculture, Inspecteur Général pour les Régions Auvergne et Rhône-Alpes, qui nous ont fait voyager comme jamais, d'Aurillac à Annecy. Et c’est là que j’ai rencontré les 2000 fonctionnaires auxquels je fais allusion dans ma biographie, 2000 entretiens de 20 à 30minutes voire une heure à deux. Deux adultes seuls, des entretiens confidentiels suivant notre charte de qualité. J’en ai entendu bien sûr des vertes et des pas mûres. J’ai eu une confession d’une belle technicienne en larmes d’inceste jamais avoué à aucune assistante sociale-de-sexe-féminin. J’ai eu des accusations d’harcèlement dont sexuel par des personnages haut placés dans la hiérarchie. J’ai fait débarquer un Directeur départemental s’intéressant plus aux petites filles qu’aux agriculteurs, etc…

Un entretien entre deux mille :


Ca se passe à Privat, dans l’Ardèche, qui ressemble à la Corse comme vous le savez.

Je reçois un technicien du Génie Rural, on dit chez nous un technicien supérieur, c’est le grade qui précède technicien supérieur principal. Après, il n’y a plus que Chef Technicien, qui est quasi comme un Ingénieur. (Mais Ingénieur, c’est mieux : on a fait l’école qui donne le titre : c’est une école d’Ingénieurs ! et on est mieux payé que technicien, car c’est le grade au-dessus, où on conçoit, ce qui est mieux qu’exécuter). Lui souhaite devenir principal. Il a présenté le concours interne, et il a échoué. Le concours interne, pour cause d’égalité-fraternité, ne se fait pas sur un projet technique, ça serait trop simple. Il se fait sur une note de synthèse, sujet qui me paraît plus à la portée d’un postulant notaire, mais c’est comme ça. Alors la conversation s’engage :

-          Et pourquoi avez-vous échoué au concours de principal ?

-          parce que j’ai loupé la note de synthèse !

-          écoutez : ça m’étonne, ne me dites pas que dans votre travail, vous ne rédigez pas des notes ?

-          j’en rédige, assurément, et même j’ai fait un livre !

-          un livre ? mais je le veux !

-          alors, je vous l’amène !

Et voilà mon interlocuteur technicien supérieur qui file dans son bureau tout proche, et qui me ramène un ouvrage : ça s’appelle « recherches d’eau dans la région de Privat », et c’est des histoires de sources, illustrées par des croquis de spéléologie !

Je me dis : il va me l’offrir !

Je lui dis : je le veux !

Il me répond : c’est cent vingt francs (c’était avant l’euro)

Je me dis : c’est bien cher ! Mais je suis piégé, et je sors le chéquier (pour conserver une trace). Je signe le chèque.

Je lui dis : « je voudrais bien une dédicace ! »

Il file dans son bureau, et revient souriant : il avait écrit sur la première page : «à mon IGIR» ![1]


Le soir même, à l’hôtel, à quelques kilomètres de Privat, dans la garrigue, avec le parking plein des voitures taguées de pub des représentants de commerce, je dévore le livre : figurez vous qu’en plus, le dimanche, mon technicien supérieur trouvait des grottes avec son copain Chauvet ! (l’homme de la grotte Chauvet). Et il donnait des conférences devant le District de Privat, toujours le dimanche, pour leur expliquer comment trouver de l’eau !

Et bien on n’a pas été foutu de donner le grade de principal au successeur de l’Ingénieur du Génie Rural de Manon des Sources ! Je n’ai pas été très fier de moi, sur le coup, mais il a été promu au choix depuis : le temps, dans l’administration comme ailleurs, arrange souvent bien les choses !

Epilogue

Nous sommes quelques années plus tard, et je suis pensionné, dégagé  de mes obligations civiles comme quand César libérait ses anciens légionnaires à charge de s’occuper du jardin de leur villa perso. Mais ces histoires continuent de me trotter dans la tête la nuit, si bien que je me réveille à 3 heures du matin. La thérapie est de coucher ces histoires sur le papier, et de me vider la tête ce que je fais en ce moment même.

Et ces histoires de Génie Rural sont géniales, et j’en connais beaucoup de savoureuses, y compris se passant à Fontvieille, le moulin d’Alphonse Daudet. Alors quand je fabrique des bagnoles, vous comprenez que ces bagnoles sont en soi une histoire. Et vous avez compris maintenant, en lisant le van vert, qui le conduisait ?

Et bien c’était (d’une certaine mesure) le technicien de Privat.

Et vous devinez maintenant mon technicien  mal reconnu par son Administration, livré toute la semaine à des mesures fastidieuses des ruisseaux de l’Ardèche, tout seul dans sa camionnette de fonction. Quand il croise une auto-stoppeuse sur la route des gorges (combien profondes...de l’Ardèche), ce que son employeur lui demande est horrible : il devrait détourner la tête, faire comme s’il ne l’avait pas vue, la laisser tomber, même pas la mener en bateau ?

Voilà le mot : c’est tout bêtement CRUEL !

Alors que ce type est on ne peut plus sympathique, le mot officiel étant tout simplement empathique !

Alors que fait-il le dimanche, quand il sort de la visite dominicale qu’il rend à la Grotte Chauvet ?


J’ai appris que dans le comportement de chacun il y a le manifeste, celui qu’on montre au-dehors, celui qui correspond à ce que l’autre attend de vous. Pour un fonctionnaire, le manifeste, c’est de montrer à son Chef qu’on le respecte hiérarchiquement (même si c’est le plus souvent injustifié), et qu’on n’en fait pas davantage que ce qu’il vous demande (il manque souvent d’imagination, le Chef)

Le boulot de l’IGIR (ça exige une énorme sensibilité) c’est de faire exprimer le latent. Les pro vous diront que c'est une maïeutique. Un accouchement en quelque sorte. Je dis "en quelque sorte" parce que c'est de la psy, pas de faire un bébé, mais de faire sortir un quelque chose (de Tenessee chante Johny) enfoui dans notre sous-moi. La particularité, souvent la qualité, cachée, camouflée derrière la fonction officielle. Notre technicien est ici proactif : il bosse le dimanche et découvre des sources à lui tout seul. Mais quelle peut bien être son attitude dans le civil, son attitude perso le dimanche, quand par exemple il croise la...

...fameuse auto-stoppeuse ?

Alors Babo
a construit
...Baby
une remorque « goutte d’eau »
Pour qu’il y ait un vrai lit
et que la stoppeuse d’auto,
elle puisse faire dodo


le réchaud à gaz et divers ustensiles sont en cours de fabrication
on peut même rêver que l'auto-stoppeuse soit écossaise, a scottish dream

why not ?

à tout hasard, j'ai prévu un plaid...


[1] Ingénieur Général chargé d’Inspection inter-régionale. Nous étions onze au service du Directeur Général de l’Administration. C’est plus compliqué aujourd’hui, pas important d'expliquer.