Nous sommes devant le panorama sud (quand il fait clair on voit les Pyrénées, alors que nous sommes à deux cents kilomètres), et on voit au centre l’oppidum ; les collines de mollasses argileuses du Tarn et Garonne, dans sa partie nord qui voisine le Lot. Les lacs collinaires en contrebas ; les domaines agricoles en pente, où l’on récolte en ce moment les noisettes et le chasselas de Moissac. Il fait une sécheresse terrible dont on n’a pas conscience à Paris, et les arbres sont secs, les feuilles jaunes et rouges de l’automne toutes flétries.
Et voilà que pour ce midi B. nous a mitonné une merveille sublissime : un tagine d’agneau, dans le plat de faïence ad hoc qui va-au-four. Rien que du collier et de l’échine. Plein de gingembre ; du poivre en quantité : ou plutôt trois poivres ; du safran. La chaleur dans un processus géologico-minéral a mélangé toutes les épices et les goûts, et a fait craqueler les vernis sur les os. On est obligé de manger avec les doigts comme là-bas….
Ca mérite une photo, d’autant que, c’est la saison, elle a rajouté comme légume des potirons jaune-safran. Quant à la semoule, c’est un délice. On a ajouté les trois dans l’assiette. On boit dans des verres de verre bleus, comme le faisaient les Romains.
Le critère de satisfaction d’une telle œuvre d’art (pour la cuisinière), c’est quand les convives s’étant partagés équitablement tous les morceaux, il ne reste plus rien sauf à saucer les dernières miettes, les dernières gouttes de sauce, privilège des invités. On le fait avec du pain de ménage au goût de froment dont on a perdu l’habitude : ce sont de grosses miches de la boulangère d’Albias qu’on appelle évidemment « les miches de la patronne ». Les invités ont donc droit à ce nettoyage que réprouvent les bonnes manières, mais la cuisinière y trouve la sanction (positive) de ses investissements. Elle a prémédité cet assemblage et cela me remplit d’admiration car rien n’est improvisé quand on cultive le bonheur. Vous savez que la coutume là-bas veut que l’on émette in fine un rot (de satisfaction) les mêmes que ceux des bébés après le biberon. Je m’acquitte (discrètement) de cette coutume en ramenant le plat vide à l’office.
Si l’on pense que le dessert est constitué de petits cubes de coing cuits à la limite du caramel. Nappés de crème anglaise (pour cumuler liquide et solide).
Ne vous étonnez pas si on aboutit à une extase des sens ; et donc de l’esprit.
La conclusion de la discussion (sérieuse) à quatre est qu’il faut vivre « vite » (il nous reste selon nos pronostics dix ans pas davantage) ; c’est à dire « intensément » ; mais ces deux appréciations ne conviennent pas tout à fait : le consensus se fait sur l’idée qu’il faut vivre « pleinement ». C’est « carpe diem », mais deux mots en latin nous paraissent un peu courts pour exprimer des objectifs qui restent quand-même complexes.
Jean-Pierre Coffe a bien raison : il faut manger de saison.